Joly, la petite miraculée
Elle est née toute blanche, toute petite, gracile, presque fragile. Elle n’était pas sauvage, mais plutôt timide. Contrairement aux autres ânons, elle ne se précipitait pas pour des câlins. Elle était bien avec sa maman dans son box « maternité », et même à 11 jours n’était pas pressée de conquérir le monde. Sa maman non plus d’ailleurs. Sauf que ce jour -là, à Bel’Âne, les 5 maternités étaient pleines et Jackson allait montrer le bout de son nez. Il fallait que Joly lui laisse la place.
Voici donc, Mademoiselle Joly obligée de vivre comme une grande, dans la nurserie, au sein d’un petit troupeau formé de mamans et leur bébé. Aucun problème d’adaptation, tout se passait très bien.
Néanmoins, le soir, Joly était souvent seule, ne tétait pas beaucoup et venait chercher refuge dans les bras de Clément, une attitude qui ne lui ressemblait guère. On avait l’impression d’une gêne dans la bouche, mais après examen, nous n’avons rien trouvé. Peut-être que sa maman, dans l’euphorie d’avoir retrouvé la liberté, a oublié qu’elle avait une fille…Nous décidons d’enfermer Maman Eglantine et bébé Joly dans une cabane pour la nuit. Ainsi, Maman Eglantine ne pourra pas oublier qu’elle a une fille à faire téter !
Le lendemain matin, Clément était inquiet. Clément, stagiaire à Bel’Âne depuis 10 jours seulement, ne connaissait rien au métier d’éleveur. Mais très sensible et très intuitif, il avait déjà tout compris !
Il avait de quoi être inquiet : Joly était couchée, très affaiblie, la langue pendante et…elle bavait. Oh la la, pas bon du tout ça, un tableau pareil ne présage rien de bon sur un nouveau-né, surtout sur une petite chose aussi fragile. (en apparences en tout cas !). Pas de température, mais alors ?
Aucun vétérinaire ne peut se déplacer, donc, ni une, ni deux, le temps de s’organiser, et j' embarque maman et bébé à la clinique. ¾ d’heure de route pour se rendre à Gap, la boule au ventre en me disant qu’à notre arrivée, hélas, il n’y aurait peut-être déjà plus de Joly.
Très mal en point, Joly, mais elle tenait encore debout. Malgré un lavage de la bouche où elle n’a rien trouvé, M., notre véto était persuadée que c’était un problème mécanique (et non médical), qu’un corps étranger avait dû lui enflammer le pharynx, et que, l’urgence était de la réhydrater. Une piqure de cortisone pour stopper l’inflammation, et voilà que M. décide de poser une sonde nasogastrique. Sauf que sur un si petit corps, difficile d’avoir les mêmes repères que sur un cheval ! Il ne faudrait pas se tromper et avoir envoyé la sonde dans un poumon ! M. décide de lui passer une radio. Incroyable Joly ! elle se laissait faire avec une patience déconcertante. Avait-elle compris qu’on se battait pour la sauver ? Je la portais dans les bras, comme un bébé. Il faut la peser ? je la pose sur la balance, elle ne bouge pas : 12 kilos… La radio ? il faut l’allonger…elle se laisse faire…Ni la vétérinaire, ni son assistante n’en revenait. Après la radio, elle se promenait, dans les locaux de la clinique, toute menue avec ses 2 grandes oreilles, comme si elle connaissait les lieux, devant les yeux stupéfaits des assistantes. Un brin d’espoir….pourvu que M ait raison… On trait la mère et M m’explique comment nourrir Joly : 100 ml toutes les 2 heures, nuit et jour, en 2 fois, avec une seringue, par la sonde, tout doucement. Une deuxième piqure de cortisone en poche, et nous voilà reparties à Bel’Âne où Clément nous attendait avec impatience.
L’après-midi s’est déroulé comme prévu, avec une Joly qui n’a pas cherché à enlever sa sonde, qui avait l’air sereine, et qu’on nourrissait toutes les 2 heures. Elle bavait toujours et a même expulsé par la bouche, une brindille de sainfoin de 5 cm, toute ramollie, certainement la cause de ce cauchemar. Le soir, son état empirait. Elle se couchait souvent et avait toujours la langue sortie. J’ai dit à Clément de ne pas se faire d’illusion. Certainement qu’à son retour, demain….
Mais le lendemain, Clément a retrouvé Joly qu’on avait veillée et nourrie toute la nuit. Mais une Joly, très très mal en point…Son visage avait changé, sa langue- noire- et sa bouche semblaient mortes, elle bavait toujours. Elle restait couchée. Nous avons continué à la nourrir. Dans la soirée, Eglantine ne voulait plus se laisser traire, ce qui n’est pas bon signe. Quand les mamans ânesses abandonnent et « coupent » leur lait, on sait que c’est la fin. On a alterné avec de l’eau sucré, puisque la priorité était de la réhydrater.. A 2 heures du matin, j’ai cru qu’elle était morte…mais non, elle avait même l’œil un peu vif. Même angoisse à 4 heures… Mais à 7 heures, sa température avait chuté à 32 °. Hypothermie, c’était donc la fin. Comment annoncer ça à sa future maîtresse ?
C’est là que ma fille Emilie m’a dit : « La première règle de l’anesthésiste réanimateur est de ne jamais rien lâcher. Il faut la réchauffer » Alors on a mis un radiateur et Clément a couvert son petit corps de sa polaire. Il est resté avec elle, l'a frictionnée. Je ne sais pas ce qu’il lui a raconté, mais toutes les heures, je recevais un texto : « 32°5 » puis, « 33° », « 34°5 »…. « 35° »….36…puis 37…. Puis à midi : « elle s’est enlevé la sonde » (Avec la langue certainement..) Plus de sonde ? mais comment la nourrir ? Ca passe ou ça casse. Et si Eglantine la rejette ? Me voilà partie à la recherche de lait artificiel pour poulain. On a continué à essayer de la nourrir à la seringue la nuit qui a suivi, soit la 3ième nuit. Puis elle a commencé à déglutir, elle a essayé de téter sa mère, sa mère s’est laissé faire, puis …..elle a tété !!!
Le miracle……Le lendemain elle sautait comme un cabri et nous faisait la fête… pour nous remercier…peut-être ! (vidéo à l’appui !)
Clément qui était déçu d’avoir raté les 4 naissances qui se sont passées la nuit, nous a dit :
« C’est magique, magnifique. J’ai raté les naissances, mais j’ai assisté à une renaissance ! »
Merci à notre vétérinaire, merci à Clément, à Emilie, merci à Eglantine et merci à Joly qui malgré son apparente fragilité cache une force exceptionnelle et nous a donné une belle leçon de vie :
"Ne jamais rien lâcher, toujours garder l'espoir, aussi infime soit il"
Marie-Claude Arnaud