Epsilon, le petit âne volant
Il s’appelait Epsilon de Bel’Âne
Epsilon est la cinquième lettre de l’alphabet grec, le « E » grec
Mais savez-vous ce que désigne le mot « épsilon » en mathématique ? Une quantité négligeable. Une quantité si petite qu’on ne la calcule pas. Une quantité qui, au fil des calculs, finit par disparaître.
Notre petit Epsilon était si minuscule, et sa naissance si bizarre que sa mère ne l’a même pas calculé !
Mais revenons sur sa naissance, une naissance pour le moins insolite.
Un matin d’août 2014, (l’année des « E »), je m’aperçois qu’Amine avait du lait aux mamelles et avait minci. Je la surveillais pourtant de près, mais les prémices d’une mise- bas ne sont pas toujours très standards sur une primipare (premier bébé). Donc, surprise ce matin- là. Avait-elle fait son bébé ? Si oui, où est-il ? Pas de bébé à l’horizon. Si elle avait eu son bébé, elle serait à côté, ou, au moins, le chercherait. Je tâte et retâte son ventre…mou… C’est l’incompréhension. Me voici à la recherche d’un éventuel « mort-né ». Toute la matinée j’ai arpenté chaque mètre carré du parc, RIEN ! Pas de bébé, pas de placenta, pas de sang…. Si le bébé était né vivant, il n’aurait pas résisté à cette chaleur torride du mois d’août sans avoir tété. Mais où était-il ? Un renard ? Un aigle ? Mais pourquoi ne le cherche-t-elle pas ? Les heures passent, toujours pas d’explication. Amine est isolée, peut-être va-t-elle accoucher bien que je n’y crois guère, d’autant qu’elle est étonnement calme. Elle n’a ni l’attitude d’une mère qui va mettre bas, ni de celle qui a eu un bébé. C’est un véritable mystère. A 15 heures, mon attention est attirée par le troupeau d’ânes qui se dirige, curieux, vers un abord du parc. Je vais voir et…..Surprise !! Un minuscule ânon se trouve coincé de l’autre côté du grillage, dans les herbes. De l’autre côté du grillage !!! Un grillage de 1m60 de haut, sous lequel il est impossible de passer, à cause, entre autres, de la végétation. ???? Comment cet ânon s’est retrouvé de ce côté ? Il ne me semble pas que les ânes volent ? Pas le temps de réfléchir, il a l’air en vie. Complètement déshydraté, mais encore vivant. Obligée de faire le tour complet du parc et trouver la porte pour passer de l’autre côté du grillage. Je récupère notre petit ânon dans un état de déshydratation avancée, au bord de la mort. Je le présente à Amine, sa mère, qui …ne…le calcule pas. Je trais la mère, je biberonne notre petit bout, le bouchonne, réactive son flux sanguin…Bref, je le réanime et le voilà qui, comme un miracle, se réveille. Comme il est mignon ! Je l’examine sur toutes les coutures et n’aperçois qu’une éraflure sur l’intérieur de la cuisse arrière. Une éraflure qui ne saigne pas. Je désinfecte cependant.
Et nous voici avec un nouveau-né sur les bras à bichonner et à biberonner toutes les 2 heures. Et cette étrange question empreinte de mystère : Que s’est –il passé ? Comment s’est-il retrouvé de l’autre côté du grillage ? Comment a-t-il volé ? Car il n’y avait pas d’autre solution : ce petit âne a volé ! Un rapace l’aurait attrapé à la naissance et l’aurait lâché de l’autre côté du grillage ? Il aurait eu le réflexe de se blottir sous les herbes, si près du grillage que le rapace en question n’aurait pu l’atteindre à nouveau ? Mais quel rapace ? Nous avions cette année-là, un ballet incessant de milans noirs au -dessus du parc, à l’affut du moindre oubli…un placenta…mais un ânon ? Je me renseigne, le milan ne peut porter un poids de plus de 600 grammes. Alors qui ? Un aigle ? Dans la nuit ? Le matin très tôt ? Un rapace nocturne ? Capable de porter 5 kg ? Lequel ? Si quelqu’un peut m’éclairer, je suis preneuse !
Notre petit âne se remettait bien jusqu’à ce qu’il montre des signes de faiblesse. Au bout du 4 ième jour, sa température est montée en flèche. Le temps que le vétérinaire arrive, et qu’on commence un traitement antibiotique de « cheval », c’était déjà trop tard : septicémie foudroyante, il est mort dans mes bras , la nuit qui a suivi. Le vétérinaire est formel : l’éraflure qu’il avait, était causée par des serres. Les serres des rapaces sont porteuses de maladies inévitables, notre petit Epsilon n’y a pas échappé.
Il nous a quittés en nous expliquant le mystère de sa naissance. Un aigle ? Un autre rapace ? En tout cas, pas une gentille cigogne.
Epsilon a rejoint le royaume des anges, ce petit âne était destiné à monter vers le ciel.
Marie-Claude Arnaud.