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Quand une journée ordinaire qui commence bien se termine en véritable cauchemar

 

7 h : Comme tous les matins, nourrissage des ânes et des patous dans les différents paddocks  ( 5 tout de même, dans un rayon de 4 km. On n’a pas la chance d’avoir un domaine d’un seul tenant).

8h : on soigne Coton. Vous vous souvenez notre petit baudet blanc qui avait une fourmilière au sabot ? 10 jours qu’on le soigne, matin et soir. C’est  Peut-être le dernier jour aujourd’hui car nous attendons le verdict du maréchal ferrant.

8h30 : Je fais le tour de mes futures mamans et je m’aperçois que Cony a la vulve très rouge (on ne va pas lésiner sur les détails !). Pas de montée de lait, mais c’est quand même un signe de mise-bas imminente. En vitesse, car j’attends l’arrivée du maréchal ferrant, je prépare une maternité. Paille, foin, eau, serviettes.. Puisqu’il gèle encore, il faut aller remplir des arrosoirs d’eau à la maison, pas pratique, mais c’est fait.  j’isole Cony . Il reste à installer cette foutue caméra qui ne marche que quand elle veut. Puisque Gitane et Maryline n’ont pas voulu  céder  leur maternité, il faut rebrancher la caméra dans la maternité de Cony.  Mince, le fil qui relie la maternité de Cony au répéteur s’est envolé avec le vent et il est coincé sur…le toit de la cabane de Maryline ! Une échelle et me voici sur le toit de la maternité. Pas fière la maman Bel’Âne, d’autant que Maryline, après avoir trouvé très rigolo de me voir perchée, s’acharne sur cette échelle qui n’a rien à faire sur son territoire ! Ouf, je suis arrivée à récupérer le fil que je fais descendre du toit puis je fais mes branchements. Après moult essais…yes !  la caméra marche, je la capte sur mon téléphone ! Tout est en place, une journée qui s’annonce bien, le maréchal peut arriver, le bébé aussi, je suis prête. Maryline nous offre une superbe chorégraphie pour couronner le tout, mais, dommage, je n’ai pas le temps de la filmer.

9h30 : Le maréchal arrive. Première visite pour Coton. « Bravo, me dit-il, tu l’as bien soigné, il est guéri, il peut ré-intégrer son paddock et retrouver ses copines »…yes ! Bonne nouvelle ! Tout roule, belle journée !…Puis nous partons parer les pieds de 10 ânes …en un temps record car je ne voulais pas trop m’éloigner de Cony . Tenir l’âne pendant que le maréchal s’occupe des sabots, tout en surveillant Cony sur son téléphone relève quand même de l’exploit. Du coup, les 10x4 sabots ont été un peu bâclés, tant pis, on fera mieux la prochaine fois. Notre maréchal ferrant  par contre, a bien rentabilisé son heure à Bel’Âne. Mais on ne lui reproche pas car il répond toujours présent quand on a besoin de lui.

10h30, Cony est calme. J’en profite pour nettoyer les paddocks tout en la surveillant d’un œil. Un quad de crottins, puis 2 car j’ai même eu le temps d’aller nettoyer chez Hantoine (pratique, la caméra sur le téléphone…surtout quand elle marche !). J’ai même eu le temps de  filmer Hirondelle qui dansait. Je pensais en la filmant que l’Hirondelle de Bel’Âne faisait aussi le printemps. Car le vent se calmait et une belle journée printanière s’annonçait. Une journée à s’occuper d’un bébé âne !

12h : Cony est toujours calme. On a le temps de ramener Coton dans son paddock retrouver ses copines. Maintenant qu’il est guéri, on va pouvoir se passer de ses braiments assourdissants. Un âne qui brait est un âne qui s’ennuie, la preuve en Coton. Pour le soigner, il a fallu l’installer sur un sol propre et l’isoler des femelles car un mâle entier est ingérable quand il sent des femelles qui lui sont interdites. Il s’est donc retrouvé tout seul sous nos fenêtres. Pendant 9 nuits j’ai eu l’impression de dormir avec lui. Chaque heure, il nous appelait !

13h : On passe à table les yeux fixés sur le téléphone, comme des ados. Sauf que les ados finissent leur repas. Moi non.

13h15 : Me voici dans la cabane avec Cony. J’ai commencé à filmer video 16x16  (la vraiment toute dernière vidéo de Cony).......30mn de travail, ça commence à être long, ça commence à ne pas être normal.

13h45 : Une petite femelle arrive, position bizarre, texture de la poche bizarre. Elle a dû avaler du liquide, manquer d’oxygène, respire fort et/ou mal. Pas normal tout ça. Immédiatement je la pends par les jambes arrière, masse le thorax, pour évacuer les bronches,  la stimule…...Parallèlement  je surveille Cony du coin de l’œil : elle n’a pas un comportement normal. Douleurs ? Coliques ?  J’appelle la vétérinaire. Elle me dit qu’elle ne peut se déplacer, elle est à 2 heures de route et seule sur 2 départements, débordée d’urgences et que, de toutes façons elle ne ferait rien de plus que ce que j’ai fait. Elle m’a dit que le plus urgent était de la faire téter. J’ai donc essayé de  faire téter la petite après avoir trait Cony mais elle n’avait pas le réflexe de succion. J’ai compris que c’était perdu.

14h 15 : suis pas sûre de l’heure mais peu importe, c’est allé très vite, ¼ d’heure après, plus de bébé. C’est l’élevage, on le sait, 10, 20% de « pertes », 50% d’après les haras nationaux, mais bon quand même, je pensais avoir brûlé mon quota les années précédentes. Et puis, une naissance qui se passe mal au bout de la dixième, OK, mais pas la seconde naissance de l’année !

15h : je rappelle la véto pour la maman Cony cette fois. Je n’avais jamais vu une maman dans cet état de souffrance. J’envoie des photos de l’enveloppe du bébé que j’avais trouvée bizarre à la naissance. La vétérinaire n’est pas inquiète, me dit qu’elle a 12 heures pour  expulser le placenta, me dit comment faire pour l’aider et me conseille de lui donner un anti-inflammatoire et lui faire une piqure intra-musculaire de calmagine. Heureusement que ma trousse à pharmacie est bien garnie car comment obtenir ces médicaments puisque plus aucun vétérinaire de Gap, plus aucune clinique vétérinaire, ne « fait » les équins. Cony s’est immédiatement calmée. Un peu trop même car elle n’avait plus de contraction pour se délivrer. Je reste avec elle. J’ai juste pris ½ heure pour nettoyer le box de Coton, soit un quad de crottins supplémentaire.

18h : Enfin, elle se délivre mais…quelle horreur…le placenta arrive, suivi d’une masse sanguinolente énorme…je n’avais jamais vu ça. J’ai compris immédiatement : Cony  « faisait la matrice ». Tout ! on aura tout eu à Bel’Âne ! Photos et SOS d’urgence envoyés à la vétérinaire. Cette fois il y a urgence ! Mais la vétérinaire ne peut pas être à 2 heures de route et intervenir dans l’heure. C’est Mathématique… Ce n’est pas sa faute, elle n’y est pour rien. Aucun autre vétérinaire ne pouvait  intervenir à Bel’Âne. Soit ils ne se déplacent pas, soit ils refusent les équins, soit ils sont trop loin. Et la seule qui peut venir est sur une urgence à 2 heures de route et repartait sur une autre urgence, des coliques sur un cheval qui ne pouvait attendre 2x2 heures. Pas le choix me dit-elle, tu enveloppes la matrice dans une serviette humide, tu  charges l’ânesse dans ton fourgon et on se retrouve à mi-chemin.

18h15 : Pauvre Cony qui ne voulait pas se lever, qui ne voulait pas abandonner son bébé mort. On l’ a chargée presque en poids dans le van. Avec du recul, c’était évidemment perdu d’avance. Comment résister à 1 heure de vibrations en fourgon quand on a la moitié de son ventre à l’extérieur !  Je suis restée avec elle pendant tout le trajet parce qu’il fallait qu’elle garde la serviette humide. Elle s’est couchée sur moi, la tête dans mes bras. Elle respirait fort. J’ai senti des larmes couler sur mon bras. C’est la troisième fois que je vois une ânesse pleurer, j’ai compris que c’était grave.

19h15 : Il y avait du sang partout dans le fourgon, sur elle, sur moi, sur Serge…un spectacle d’horreur. On retrouve la vétérinaire qui nous attendait sur un parking, complètement opérationnelle, ses outils sortis, prête à toute éventualité. Un bloc opératoire improvisé éclairé par la lumière des phares de la voiture ! La vétérinaire  sédate  Cony,  nettoie et examine la matrice sur laquelle elle remarque des lésions, hématome et déchirure. Elle nous dit « euthanasie ».  On dit Non ! « Alors on opère : on coupe la matrice, 30% de chances de survie ». Oui ! 30% c’est mieux que 0 non ? Elle téléphone à la prestigieuse clinique vétérinaire d’Aix en pce qui confirme 0% de chance.

20h : La vétérinaire revient, une seringue à la main. Elle nous dit « on n’a pas le choix ». Elle n’a pas eu le temps de piquer, Cony est morte dans ses bras, elle faisait une hémorragie.

21h : La vétérinaire repart pour 1 heure de route sur son autre urgence, le cheval en coliques. Espérons qu’elle arrive à temps. Pour nous, pour Cony c’est trop tard.  On reprend la route pour Bel’Âne, complètement abasourdis, des larmes plein les yeux. Mais pourquoi ? Pourquoi ? On ne peut pas s’en occuper mieux que ça. On est toujours là. Certains éleveurs l’auraient trouvée morte au pied d’un champ, sans même savoir si elle était gestante, de quel mâle, de quelle date. Nous, on sait tout, on surveille tout, on est toujours là . Peut-être trop ? Mais non, elle était si câline, tant besoin de contact. Trop de bébés ? diront les mauvaises langues, mais non ! Cony n’avait pas 10 ans et n’a eu que 2 bébés : Hector et Jessie, soit en 2017 et 2019, et sans problèmes. Elle était en parfaite forme, espiègle, joueuse, câline. Est-ce qu’elle sentait ce qui allait se passer pour avoir agressé Maryline lors du direct de mardi dernier, soit 2 jours avant ? Que de questions sans réponses. Une chose est sûre, On ne verra plus Cony la fugueuse, comme est raconté sur sa fiche. Nous avons une peine incommensurable.

22h :  On  rentre, on essaie d’écouter les infos- la guerre en Ukraine – Cony – la guerre en Ukraine – Cony…on essaie de relativiser.. C’est dur.

3 heures du matin : Je ne trouve pas le sommeil,  alors je raconte cette journée qui avait si bien commencé. C’est comme une thérapie. Une histoire qui rentre dans ma chair, qui entre dans l’histoire de Bel’Âne.

Je repasse le film de cette journée et suis persuadée d’une chose : si un vétérinaire avait pu intervenir sur place et rapidement, on aurait peut-être sauvé Cony .

Désert médical – désert vétérinaire – pandémie- guerre – campagne électorale déconcertante …..mais que devient cette société dite « civilisée » ?

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